vendredi 26 juillet 2013

La marine à voiles.... poème de Raymond Queneau


Après avoir descendu tout le long le long du mât de misaine
et salué le petit cacatois, le petit perroquet, le petit volant et le petit hunier
le marin de terre sèche salue le bon vieux dictionnaire
qui lui donne l'image du voilier trois-mâts avec ses principaux agrès
il s'embarque avec son sac et se présente au capitaine
le voilà médecin de bord ( pourquoi pas ) pendant cette traversée
on fera le tour du monde en longeant les terres lointaines
on verra souffler les blanches baleines
et l'on reviendra en se promenant à travers l'Océanie
on restera si l'on ne sombre au moins trois ans partis
au retour on trouvera les enfants grandis
regardant avec joie dans leur dictionnaire
la figure majestueuse du voilier trois-mâts avec ses principaux agrès 

                                    Raymond Queneau ( 1903 - 1976 )
                                                [ Fendre les flots ] 

L'Etoile du Roy et La Boudeuse dans le port de Saint-Malo le 16 juillet 2013

vendredi 19 juillet 2013

Watteau.... poème d'Albert Samain



de Jean-Antoine Watteau : Pèlerinage à l'île de Cyttère,  dit l'Embarquement pour Cythère ( 1717 )


***

Au-dessus des grands bois profonds
L’étoile du berger s’allume...
Groupes sur l’herbe dans la brume...
Pizzicati des violons...
Entre les mains, les mains s’attardent,
Le ciel où les amants regardent
Laisse un reflet rose dans l’eau ;
Et dans la clairière indécise,
Que la nuit proche idéalise,
Passe entre Estelle et Cydalise
L’ombre amoureuse de Watteau.

Watteau, peintre idéal de la fête jolie, 
Ton art léger fut tendre et doux comme un soupir,
Et tu donnas une âme inconnue au désir
En l’asseyant aux pieds de la mélancolie.

Tes bergers fins avaient la canne d’or au doigt ;
Tes bergères, non sans quelques façons hautaines,
Promenaient, sous l’ombrage où chantaient les fontaines,
Leurs robes qu’effilait derrière un grand pli droit...

Dans l’air bleuâtre et tiède agonisaient les roses ;
Les coeurs s’ouvraient dans l’ombre au jardin apaisé,
Et les lèvres, prenant aux lèvres le baiser,
Fiançaient l’amour triste à la douceur des choses.

Les pèlerins s’en vont au pays idéal...
La galère dorée abandonne la rive ;
Et l’amante à la proue écoute au loin, pensive,
Une flûte mourir, dans le soir de cristal...

Oh ! Partir avec eux par un soir de mystère,
Ô maître, vivre un soir dans ton rêve enchanté !
La mer est rose... il souffle une brise d’été,
Et quand la nef aborde au rivage argenté

La lune doucement se lève sur Cythère.

L’éventail balancé sans trêve
Au rythme intime des aveux
Fait, chaque fois qu’il se soulève,
S’envoler au front des cheveux,
L’ombre est suave... tout repose.
Agnès sourit ; Léandre pose
Sa viole sur son manteau ;
Et sur les robes parfumées,
Et sur les mains des bien-aimées,
Flotte, au long des molles ramées,
L’âme divine de Watteau.

Albert Samain ( 1858 - 1900 )

La gamme d'amour 1717 de Jean-Antoine Watteau

jeudi 4 juillet 2013

Hommes de la mer... poème de Xavier Pierre


" La mer ! Partout la mer ! Des flots, des flots encore.
L’oiseau fatigue en vain son inégal essor
Ici les flots, là-bas les ondes.
Toujours des flots sans fin par des flots repoussé "

Victor Hugo




Marins vos yeux me rappellent...
L'indigo clair des mers du levant
Dans vos yeux marins
Toute la nostalgie de l'île aux belles
Toute la pudeur et la force des âmes fières.

Dans la douceur des aubes armoricaines
Cap sous le vent !...hardi les gars !

Quand tu vires bâbord sous l'azur
Que l'enfance saute l'amure *
Dans la chaleur ocre des ports
Au large de l'île aux Rebelles.

Marins, vos yeux me rappellent...
Le ciel de ces îles en Armor éparpillées
Voilées d'une brume d'écume en dentelle.
Tissés par le chant des filles aux Glénan,
Où s'échoue de nuit le coeur des Bretons.


                             Xavier Pierre
               Recueil : Aubes Armoricaines

* amure : Coin de la basse voile du côté d'où vient le vent. Cordage qui la retient